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Témoignage de Anne Henry, assistante sociale responsable des aides familiales, Aide et Soins à Domicile (ASD)

Pouvez-vous décrire en quelques mots votre activité professionnelle en général?

Je coordonne une équipe de 22 aides familiales. Elles se rendent au domicile des bénéficiaires pour les soutenir dans les tâches quotidiennes, telles qu’aide à la toilette, aide au lever/au coucher, aide à la préparation et/ou à la prise de repas, aide pour les lessives et le repassage, aide administrative, aide pour les courses, soutien des aidants proches, réfection et/ou change du lit, aide aux déplacements intérieurs et extérieurs, surveillance de l’état de santé, entretien des pièces de vie, accompagnement à des visites ou à des rendez-vous médicaux, soutien par la présence, le dialogue, le maintien de l’autonomie, soutien en situation de fin de vie, …

Mon rôle est à la fois social, à l’écoute des équipes et des bénéficiaires, en lien avec les partenaires du réseau pour répondre aux besoins des bénéficiaires, et à la fois administratif par la gestion, tant financière qu’administrative.

Mon travail consiste à organiser et gérer les horaires des aides familiales, organiser les réunions d’équipe, gérer les nouvelles demandes, organiser les réévaluations annuelles des dossiers des bénéficiaires chez qui l’aide est déjà en cours, participer à des coordinations entre intervenants à domicile, gérer différents projets, et toute la part de travail administratif et financier déjà mentionné.

Comment ça va au travail pour le moment, dans ce contexte de confinement?

Le travail se fait dans un contexte très particulier.

Je suis en télétravail et je n’ai jamais eu l’habitude de travailler de manière isolée physiquement et d’une certaine façon aussi psychologiquement. Nous sommes habituellement 7 par bureau et les contacts avec d’autres collègues de métiers différents se font à longueur de journée. Je travaille au milieu de mon salon, au milieu de mes proches,…il faut pouvoir s’adapter à ce nouveau mode de fonctionnement et ma famille également. Cela n’a pas été facile tous les jours  au début mais cela leur a cependant permis de se rendre compte du métier que j’exerçais.

Je suis amenée à devoir gérer le travail en tenant compte d’aspects nouveaux : plus de visites sur le terrain et des enquêtes qui se font par téléphone avec toutes les difficultés que cela engendre, au vu de notre public, un confinement à mon domicile, du matériel de protection, des mesures de protection très strictes pour mon personnel à adapter à chaque nouvelle situation rencontrée, des prises en charge de bénéficiaires atteints du Covid-19, des prises en charge à adapter, des questionnements sur la sécurité de mon personnel, la crainte de certains bénéficiaires et/ou de leurs familles, l’immense isolement de certains de mes bénéficiaires,… J’ai été amenée à travailler avec de nouveaux outils : PC portable, secrétariat aussi en télétravail, Team’s,…

Depuis le confinement, je vis donc une certaine forme d’ « isolement professionnel ».
Ce calme me fait du bien et à la fois génère de grandes angoisses. Par contre, une chose est certaine, je ne souhaiterais plus travailler « comme avant » le confinement. Je le disais déjà avant l’arrivée de la pandémie mais je le pense encore plus aujourd’hui.

Les retours au domicile de bénéficiaires atteints du Covid-19 sont des situations particulières et l’adaptation prend du temps. Les contacts avec la clinique, le médecin traitant, les coordinations, les aidants proches, les autres professionnels de terrain sont essentiels et prennent énormément de temps. Je dois impérativement organiser les choses au mieux afin de protéger mon personnel au maximum en cherchant à obtenir des informations les plus justes afin d’adapter les aides au mieux.

Je dirais que je bascule entre une certaine sérénité à mon domicile et un grand stress lié à l’inconnu … J’ai de grands moments d’angoisse méconnus jusqu’alors. Je suis amenée depuis 20 ans à devoir gérer des choses difficiles et souvent dans une certaine urgence. La gestion actuelle et le stress qu’elle engendre prennent d’autres formes mais je n’arrive pas encore à les identifier.

Je peux par contre compter sur l’immense soutien de mes collègues assistantes sociales et coordinatrices. Nous faisons le point en vidéo-conférence au moins une fois par semaine et cela est essentiel.

De quelle manière avez-vous adapté votre travail ? (lien avec les collègues, avec les usagers)

Tous les contacts se font par mail ou par téléphone, y compris avec les collègues, si ce n’est une réunion en vidéo-conférence entre responsables AS qui a eu lieu depuis le début du confinement.

Je vois de temps en temps les aides familiales qui travaillent sur le secteur de mon domicile et qui viennent retirer ou m’apporter du matériel ou des documents administratifs. Je n’ai plus vu les aides familiales de l’équipe de Waterloo depuis fin mars.

L’adaptation est relative car nous ne disposons pas des moyens technologiques suffisants permettant de travailler autrement que par mail ou par téléphone.

Quelles sont les questions qui se posent dans votre travail dans ce contexte?

Plusieurs questions se posent :

  • Comment coordonner au mieux ?
  • Comment protéger au mieux notre personnel ainsi que nos bénéficiaires âgés/malades/fragiles… ?
  • Quelle est l’urgence ?
  • Quelles nouvelles initiatives ou nouvelles façons de gérer pourrait-on mettre en place ?
  • Doit-on continuer à travailler « comme avant » ?
  • Que va-t-il ressortir de tout cela ?
  • Allons-nous reprendre notre travail « comme avant » ?

 

Quelles sont les difficultés majeures que vous rencontrez à ce stade dans votre travail et comment envisagez-vous les semaines qui viennent?

Je ne sais pas comment envisager les semaines qui viennent car je travaille presque au jour le jour. Difficile de se projeter et cela l’est d’autant plus que les décisions viennent du Conseil National de Sécurité et imposent aux directions, aux responsables ainsi qu’au personnel de terrain une grande adaptabilité et flexibilité. Serons-nous concertés par nos instances politiques ?

Difficultés majeures : m’assurer que mon personnel va bien psychologiquement, ne pas savoir, gérer mon stress « non identifié ».

Y a-t-il des besoins que la solidarité, l’entraide pourraient éventuellement soutenir ?

La solidarité de mes voisins et de certains collègues a permis de fournir du matériel de protection aux aides familiales de mon équipe : masques en tissu, visières, lunettes,…

Un matériel venant compléter celui fourni par notre Asbl : gants, masques chirurgicaux et FFP, sur blouses, surchaussures, gel hydroalcoolique, …

Quels sont les éléments positifs que vous voyez apparaître avec ce confinement, des opportunités ?

J’espère que nous prendrons le temps de nous poser après la crise afin de réfléchir le fonctionnement de notre Asbl « d’après crise ». Avec des mesures importantes qui bouleversent notre façon de faire, de travailler, de concevoir le travail.

Cette crise a été l’opportunité de tester plus de liberté dans le travail, dans notre gestion et plus de télétravail par exemple. Notre gestion de la crise pourra, je l’espère, appuyer nos demandes de changement. Si la gestion était impeccable en télétravail, pourquoi ne pas accorder une beaucoup plus grande souplesse à ce niveau ?

Y a-t-il des ressources qui vous aident? Auriez-vous envie de les partager?

Les ressources qui m’aident sont des ressources qui viennent de mon cadre privé. Je peux donc difficilement les partager mais je peux rayonner de ce qu’elles m’apportent.

Si vous aviez des demandes à formuler à votre secteur, aux autres secteurs, au CLPS-Bw, à la société civile, à la population, aux autorités, quelles seraient-elles? 

  • Battons-nous pour une reconnaissance du boulot des aides familiales, infirmier·e·s à domicile, garde malades et aides ménagères. Mettons nos forces en avant. Arrêtons de nous cacher ou d’accepter que l’on nous cache. Comment cela se fait-il qu’il a fallu autant de semaines avant de voir pointer nos nez à la TV ! Nous méritons amplement une reconnaissance. Nous aurons une nouvelle fois montré toute notre nécessité sur le terrain. Des milliers de témoignages pourraient être lus.
  • Donnons-nous la main pour une reconnaissance plus juste de nos boulots méconnus, aidez-nous à y parvenir grâce à l’importance de votre secteur, construisons des ponts, prenons le temps d’apprendre à nous connaître
  • Promouvoir nos métiers de terrain

Comment votre public est-il affecté par ce confinement?

Notre public vit un isolement très très important.

Il ne comprend pas les mesures prises (pendant une période, nous ne pouvions par exemple plus accompagner aux rendez-vous médicaux, les bénéficiaires ne pouvaient pas accompagner pour les courses, mesures d’isolement dans le domicile, suspension des aides,…), ni les mesures de protection prises (pourquoi autant de matériel).

Les personnes au vieillissement cognitif difficile ne comprennent pas. 

Les personnes âgées ont aussi souvent très peur pour leurs enfants et petits-enfants.

Comment pensez-vous qu’il le sera lors et après le déconfinement? A quoi faudra-t-il être attentif? 

Je ne sais pas encore. Dans un premier temps, je dirais qu’il faudra être attentif aux aspects dépressifs.

Certaines personnes ont suspendu l’aide durant toute la période du confinement (incompréhension, peur, …). Vont-elles reprendre ensuite ? Qu’en sera-t-il si elles ne réenclenchent pas les aides ? Qui veillera s’il n’y a pas d’aidants proches ?

Les contacts avec les autres professionnels de terrain chez ces usagers seront très très importants afin de s’assurer que la levée de l’aide est OK.

Mais aussi à leur état de santé général, à sa dégradation, rester très vigilants aux premiers signes parfois très silencieux du Covid-19.

Il faudra aussi continuer à veiller à la compréhension, rassurer, écouter, expliquer,… 

Que faudrait-il mettre en place pour que cette période n’ait pas renforcé les inégalités (inégalités sociales, scolaires, d’accès...) ? 

Solidarité, bénévolat, équipe de soutien psychologique/solidaire avec un accès gratuit ou presque, ponts entre les professionnels de la santé, organisation via les communes de bénévoles formés à prendre contact, entraide, tarifs adaptés aux familles/personnes en grande difficulté ou isolement dans le cadre du Covid,…

De quoi votre institution aurait-elle besoin pour éviter ce renforcement des inégalités pour votre public?

Il m’est difficile de répondre à froid à cette question.

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