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Interview de l'équipe mobile assertive d'Archipel

Marie Henry, psychologue dans l'équipe mobile assertive (EMoSA) du réseau en santé mentale enfants et adolescents du Brabant wallon (Archipel) réalisée le 16 avril 2020

 

Quel est le travail d'une équipe mobile ?

Nous avons deux équipes mobiles pour les enfants et les adolescents de 0 à 23 ans. L'équipe mobile de crise «Wei-Ji » et l'équipe mobile assertive  "EMoSA". La différence entre les deux, c'est que les équipes mobiles assertives interviennent dans la famille quand il y a quelque chose qui est chronique, quand il y a une souffrance ou  une pathologie ou des difficultés relationnelles qui sont installées depuis un certain temps, où les jeunes en difficulté n'arrivent pas, n'arrivent plus à  accrocher à  un projet  de soin ou à un réseau d'aide.

Les équipes mobiles de crise  interviennent quand il y a une crise, au moment même.

On travail toujours avec un réseau, on essaie de voir quel réseau a été mis en place avant notre intervention pour pouvoir comprendre c'est qui a marché ce qui n'a pas marché et donc éviter de refaire du même. On travaille toujours avec la personne qui nous envoie la situation. Ça peut être un médecin, une école, une institution comme le SAJ, une institution plus spécifique comme des hôpitaux pédo-psychiatriques, les institutions d'aide la jeunesse, le tribunal, etc. Plus précisément on essaye d'aller là où la famille est.  

Le critère de mobilité justifie notre intervention. Si c'est qu'une famille  qui a des difficultés mais qui a la mobilité psychique, ça ne va pas spécialement être notre équipe qui va intervenir. La non mobilité psychique, c'est quand les gens ne vont pas bien et n'arrivent pas eux-mêmes à faire la démarche vers l'extérieur. Nous on est vraiment là, dans cet "entre deux" et on essaye de remettre du lien avec l'extérieur de soin. Ca peut être aussi un "extérieur" autre que du soin, comme les loisirs, la scolarité, etc. C'est assez global.  Voilà pourquoi c'est important pour nous ne travailler autant avec le réseau qu'avec la famille.

Comment ça se passe aujourd'hui au travail dans ce contexte confinement ?

C'est particulier dans mon travail, parce que on doit vraiment s'adapter au jour le jour avec les mesures de confinement. Notre travail c'est d'être en lien avec des familles et  notre objectif premier c'est de remettre un réseau de soin autour des familles et des jeunes qui ne sont plus mobilisables psychiquement. La question du contact téléphonique ou vidéotéléphonique prend toute la place aujourd'hui. On arrive à s'adapter avec certaines situations et pour d'autres c'est beaucoup plus compliqué. Ça dépend vraiment de plusieurs facteurs.

Justement, comment avez-vous adapté votre travail pour garder le lien avec votre public et votre réseau ?

Je vais répondre pour l'équipe assertive. Il y a toujours une personne de l'équipe qui vient au bureau pour assurer une permanence.

On a reçu la directive de stopper les interventions en famille mais de garder quand même l'obligation d'intervenir pour éviter la crise et pour éviter que les hôpitaux ne soient engorgés. Notre public ce sont des familles où les crises sont chroniques. Donc il y a des moments ou c'est plus stable, puis des moments où il y a de nouveau des difficultés. Si jamais n'on intervient plus en famille, le risque qu'on pressentait, c'est que petit à petit certaines familles, avec le confinement, allaient elles-mêmes produire de la violence, de la souffrance, etc.  Dans ces moments-là, on a la mission d'intervenir sur place avec tous les dispositifs : donc les gants, les masques, les blouses, etc. Pour l'instant ça fait un mois qu'on est en confinement, on commence à devoir prendre la décision d'intervenir pour éviter que la crise passe par les urgences et les hôpitaux. 

En ce qui concerne mes collègues de l'équipe mobile de crise, eux ils interviennent tous les jours en famille.

Comment est-ce qu'on s'adapte ? On continue à essayer de maintenir le lien avec chaque jeune, chaque famille. Principalement par rendez-vous vidéoconférence mais on n'a pas une ligne de conduite générale pour toutes les situations, c'est vraiment du cas par cas. On s'adapte en fonction des ressources de chacun. Il y en a qui ne veulent pas être vu de visu, qui veulent juste le téléphone. On essaye de composer avec tout ca. Là où on sent qu'on a du adapter notre travail c'est que notre objectif aujourd'hui c'est vraiment plus d'être là, de prendre des nouvelles, d'assurer un lien. Mais on n'a plus les outils aujourd'hui pour vraiment continuer à faire le travail d'avant. Il y a quelque chose qui s'est mis à l'arrêt, au niveau d'un travail d'une élaboration psychique. Notre priorité c'est vraiment de rester en lien. 

Ça ne fonctionne pas tout temps. Nous avons un public fragilisé au niveau de la capacité de demande. Ce sont des gens, qui ne sont pas toujours  au clair avec leur demande, des familles qui ne sont pas demandeuses puisqu'il n'y a pas cette mobilité. Il y a toute une série de famille qui ont profité des mesures de confinement pour ne plus donner signe de vie ou qui ne répondent pas à nos appels. C'est vrai que c'est assez compliqué.

A chaque fois on réfléchit en équipe, parce qu'on garde des réunions d'équipe chaque semaine.  On réfléchit en équipe à comment peut adapter, à qui on peut interpeller au niveau du réseau. L'équipe est vraiment une ressource importante.

Par exemple, je pense au cas d'une famille où avant le confinement on était vraiment dans tout le processus de près-admission pour un enfant dans un projet d'hospitalisation. C'est une famille dont on n'a plus de nouvelles. Alors on est allé vers le SPJ, qui était notre "envoyeur", pour s'assurer qu'ils savent qu'on n'a plus de contacts et de savoir s'ils ont des contacts.  À chaque fois on retourne vers le réseau pour savoir s'ils ont eu des contacts avec la famille.

Dans une autre famille, la maman était elle-même hospitalisée. Elle est retournée chez elle avec le confinement et donc tout le monde est soucieux de voir comment ça se passe à la maison et de nouveau de retravailler avec les personnes qui prenaient en charge la maman et de savoir si eux sont en lien.

Quand ça  re-crise, c'est vraiment au cas par cas. Que doit-on faire ? En terme de sécurité pou les enfants ? Comment essayer d'éviter et ça passe par un passage  à l'hôpital ?

La distanciation sociale ce serait une des difficultés majeures dans votre travail ? 

Oui. Aujourd'hui si on n'a plus le téléphone, on n'a plus le contact, si on a plus d'ordinateur, on n'a plus de contact.  Dans notre télétravail, on est tout le temps derrière notre ordinateur pour créer les entretiens virtuels. C'est une forme de distanciation sociale mais ça permet de garder le lien. Ça peut être une ressource comment frein.

Quels seraient les aspects positifs au confinement, les opportunités ?

On réfléchit beaucoup à comment rentabiliser notre temps. Avancer sur des choses, sur lesquelles on a moins le temps de travailler quand on est dans le feu de l'action : faire du rangement informatique, des statistiques, les choses qu'on a toujours tendance à  procrastiner. On fait des formations en ligne. L'adaptation est sans cesse nouvelle parce que les mesures de confinement évoluent. Il faut faire avec cette temporalité qui est parfois une opportunité mais aussi un frein. Ce n'est pas une opportunité clairement évidente, c'est adaptatif.

Tu verrais une opportunité pour les familles ?

Au début, nous avions imaginé un stress par rapport à la société, au confinement. On a cru qu'on allait devoir intervenir assez rapidement  en cas de crise. Mais les familles, nous renvoyaient qu'elles prenaient "du bon" dans le confinement. On était agréablement surpris. En fait, on a anticipé les crises avant que les familles elles-mêmes nous montre que ça crise. Maintenant on n'est plus dans des discours ou ils disent que "ça fait long", qu'ils "commencent à s'ennuyer", qu'ils "commencent à tourner en rond", qu'ils commencent de nouveau avoir des difficultés. Le fait qu'ils soient confinés, dans parfois de petits espaces provoque aussi parfois des risques de violences. C'est très évolutif. Je ne pense pas qu'à heure actuelle on peut encore parler d'opportunités pour les familles. C'était peut être le cas au début mais de moins en moins. 

Parce que toutes les familles ne sont pas égales. Quand je parle des critères de "non mobilité psychique" ça concerne des familles aisées, comme des familles non-aisées. Des gens qui sont confinés, qui ont une grande maison qui permet que chacun ait son espace individuel, quand il en a besoin, comme une chambre, ou pouvoir aller un peu dans le jardin. Tout le monde n'a pas cette chance la. Il y a des parents qui sont moins disponibles que d'autres pour leurs enfants. Parce que ce sont des parents qui eux-mêmes ne vont pas bien ou qui sont eux-mêmes pris par leur travail. C'est vraiment de nouveau du cas par cas.

Aurais-tu des demandes à faire à ton secteur ? à d'autres secteurs pour faciliter ce travail ?

Des masques et des tests. 

On aimerait pouvoir compter sur de la solidarité plus sociale. Parce qu'au niveau des inégalités sociales ceux qui subissent le plus, c'est ceux qui sont dans des grandes carences financières.

Je pense à une situation où il y avait une expulsion de logement qui était en cours. Cette famille ne peut pas pour l'instant se mobiliser par rapport à la recherche de logement. Parce que tout est à l'arrêt, on ne peut pas visiter. S'il pouvait y avoir une solidarité qui pourrait plus soutenir les gens avec des grosses fragilités. L'avocate de cette famille nous dit "Non, on ne pourra pas reprolonger cette mesure d'expulsion." Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose à travailler au niveau social. S'il y a un arrêt, qu'il aille dans les deux sens. Si les familles sont coincées maintenant, alors il faut leur donner les moyens de rebondir.

Dans une autre famille, la machine à laver ne fonctionnait plus. Une famille avec 5 enfants. Un de mes collègues a pu travailler un réseau d'aide sociale et la famille a eu une machine à laver. Ca paraît simple mais ça permettait à la maman de ne plus aller au lavoir, de ne plus faire la lessive à la main. Ca change tout dans une famille confinée avec 5 enfants.

Développer un réseau solidaire au niveau des besoins matériels, ça ça pourrait être chouette de voir qu'on peut encore trouver des lieux qui peuvent comme ça donner de l'aide pour des personnes qui en ont besoin évidemment. Ca ça manque encore un petit peu. Ca existe mais ça pourrait être plus.

Est-ce que tu penses déjà à l'après confinement ? Comment est-ce que tu l'imagines ? 

On a commencé à y réfléchir en se disant que peut-être que les crises allaient être plus présentes dans l'après-confinement. Je fais un parallèle avec comment est-ce que moi je pourrais vivre cet après confinement. Je pense que tout le monde n'aura qu'une envie c'est de sortir. Et donc, qu'est-ce que ça va engendrer ? Qu'est-ce que ça va susciter ? Est-ce que les gens vont respecter le processus de déconfinement ? Je pense qu'il faudra être très très attentifs et très très vigilants dans ce déconfinement de voir qu'est-ce que ça suscite chez les gens.  Pour l'instant, tout le monde subit un peu, tout le monde commence à en avoir marre. Comment l'être humain va gérer cet après confinement. Je pense que ça va être compliqué, on va avoir re-besoin d'un extérieur, d'une aide sociale, d'une aide de soin. Est-ce que ce besoin va pas être d'un coup décuplé ? Et est-ce qu'il y aura de la place ? Ca risque de ne pas être évident et on ne sait pas quand ça sera.

Est-ce que ça sera dans quelques semaines ? Est-ce que ça sera dans quelques mois ? Comment les gens vont gérer qu'en juillet-août, ils ne pourront pas partir à l'étranger ? 

Dans notre travail, on doit déjà faire beaucoup avec l'impuissance, avec des gens qui sont déjà passés par des moments de vie pas faciles. Ce sont des personnes qui ne sont pas nécessairement demandeuses. On devait déjà "faire avec l'impuissance" avant et là j'ai l'impression qu'on doit encore "faire plus avec". Et ça même si on est des professionnels, c'est pas toujours évident à accepter que derrière cette impuissance, il y a toujours des enfants qui vivent des choses pas faciles. Et qu'on ne sait pas toujours savoir ce qui est bon, trouver des alternatives, des relais ou des lieux de soin.

C'est très dur à penser, on ne sait pas comment ça va se passer.

Auriez-vous des besoins pour la suite ? Pour vos familles ?

Je pense aussi à tous ces jeunes qui étaient déjà en difficulté scolaire, un peu déscolarisé. Je me dis que la question de la scolarité à partir du moment où on a des parents qui ne sont pas soutenants, ça ne va pas être facile. Je pense qu'il va y avoir beaucoup plus de décrochage scolaire. 

Pour être dans de la prévention  il faut que les écoles soient attentives à donner les moyens à tous les enfants et aux parents à pouvoir faire du travail à la maison. Il y en a qui ne savent tout simplement pas télécharger l'application sur leur ordinateur ou ils n'ont pas d'imprimante. Donc ils sont là, sans rien par rapport à l'école. On leur propose des pistes comme d'aller vers leur CPAS. Mais c'est trop compliqué, il faudrait plus de concret. Je pense que l'école aurait un rôle à jouer, de suivi. Plus que ce qu'il  y a maintenant. Je pense qu'il y a des écoles qui ont donné du travail aux enfants mais ils ne sont pas en train de vérifier si les enfants "accrochent" à cette méthode. On va être dans des situations où il y a des enfants, des adolescents qui n'auront plus de lien avec l'école jusqu'en septembre. Cela risque de créer encore plus d'Inégalités sociales est de décrochage scolaire. Au niveau concret, est-ce qu'on ne pourrait pas faire des minis cours, en vidéo-conférence pour des enfants, qu'ils soient à 3 ou 4 et que les professeurs continuent à faire l'école à la maison, en vidéo avec des petits groupes. Juste pour garder un lien, pas pour rattraper en retard. Je pense que là il y aurait quelque chose d'intéressant.

Merci d'avoir répondu à mes questions, as-tu encore quelque chose à ajouter ?

Non c'est très bien merci.

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